Né vers 1853, Toera fut l’un des derniers rois du Menabe. A la fin du XIXe siècle, alors que les troupes françaises progressaient à travers l’île, il fut l’un des premiers chefs sakalava à prendre les armes pour défendre son territoire, ses traditions et son peuple. Sa résistance, tenace et déterminée, s’est heurtée à la brutale répression coloniale. En 1897, à la suite d’un affrontement sanglant, le roi Toera fut capturé, décapité par les forces françaises, et son crâne emporté en France.
Mémoire et résistance face à la colonisation française
Le massacre d’Ambiky, où s’illustra sa dernière bataille, demeure aujourd’hui le témoignage d’une résistance malagasy généralisée dès les débuts de la colonisation. « Contrairement à l’idée reçue selon laquelle seuls les Merina des Hautes-terres auraient résisté à la colonisation, les faits démontrent que la révolte était nationale, et que les Sakalava y ont joué un rôle crucial », souligne Denis Alexandre Lahiniriko, historien à l’université d’Antananarivo. « Le mouvement de résistance dirigé par Toera dans le Menabe montre que la lutte contre la conquête coloniale concernait tout Madagascar. C’est un soulèvement anticolonial survenu en pleine période de " pacification " menée par le Général Gallieni. Ces événements marquent les premiers signes de la construction d’une conscience nationale malagasy, unie face aux envahisseurs », ajoute-t-il.
La résistance de Toera n’était pas celle d’un roi isolé, mais celle d’un peuple entier. Des paysans sont tombés à ses côtés, dans une révolte comparable aux événements de 1947. Dans les deux cas, il s’agissait d’une lutte paysanne pour refuser la soumission, réclamer la liberté, et affirmer le droit pour les Malagasy de décider de leur propre destin sur leur propre terre.
« Le roi Toera s’est battu pour sa liberté et pour celle de son peuple. C’est un mouvement populaire qui doit être reconnu à sa juste valeur dans notre Histoire nationale », affirme encore l’historien.
Le rapatriement de sa relique revêt une importance capitale
Aujourd’hui, la mémoire du souverain Toera revient avec force. Son crâne, ou « Kabeso », conservé en France, est au cœur d’un processus de restitution mené par les autorités malagasy, dans le cadre d’un programme national de récupération des biens culturels. Pour le peuple sakalava, cette démarche revêt une importance majeure.
« Lorsqu’un "Ampanjaka" meurt, certaines parties de son corps sont placées dans les reliques du "Zomba" qui symbolisent la continuité du royaume sakalava. Actuellement, seule la relique du roi Toera manque parmi les dix déjà présentes. Son retour est attendu pour être honoré lors d’une future cérémonie du "Fitampoha", aux côtés des autres reliques royales », explique un chef de quartier à Ambiky, District de Belo-sur-Tsiribihina.
Ce retour est bien plus qu’un simple acte symbolique. Il représente une réparation historique, un devoir de mémoire, mais aussi un pilier dans la reconstruction de l’identité nationale malagasy. « Le retour du crâne du roi Toera serait une justice historique et une reconnaissance du combat de nos ancêtres », ajoute ce notable.
Un enjeu pour les relations franco-malagasy
Le cas du roi Toera soulève également une question plus large : celle d’une nouvelle relation politique entre la France et ses anciennes colonies. « Rapatrier ses restes, c’est plus qu’un geste symbolique. C’est poser les fondations d’un nouveau dialogue, basé sur le respect, la mémoire et la justice », rappelle l’historien Denis Alexandre Lahiniriko. Et lui d’ajouter : « Il est fondamental que l’Etat malagasy reconnaisse que l’unité nationale s’est forgée dans la lutte commune contre l’occupation coloniale. A Ambiky comme ailleurs, des Malagasy de toutes origines ont dit non à l’injustice, la dépossession et la domination. C’est dans cette mémoire partagée que se construit la souveraineté de demain ».
Elias Fanomezantsoa